Une brève histoire de performance, ou « Comment j’ai découvert un art bizarre et affectueux ».
Cette histoire commence de façon tout à fait paisible. Je me devais comme à chaque semestre, de choisir un atelier de pratique théâtrale parmi la liste particulièrement vaste que me proposait la brochure. Étant en année de grand questionnement intérieur, presque métaphysique, j’avais choisis de suivre une classe préparatoire en arts plastiques en plus de ma deuxième année de licence car, c’est bien connu, j’aime le surplus de travail. Je sortais d’un premier semestre dans lequel mon cours de pratique avait été la scénographie parce que « Tu comprends, ca serait intéressant de mêler théâtre et arts plastiques, hun-hun. » Ce cours, quoiqu’intéressant, demeurait cependant très statique, et j’avais besoin de bouger. De bouger réellement. C’est la raison pour laquelle je me suis jetée, avec une force que je ne me soupçonnais guère, sur ce cours de « Performance Artistique et Théâtrale ». Même le nom était beau. J’avais fait le bon choix.
Pourtant cette histoire, qui commençait de façon tout à fait paisible, ne le niez pas ce fut ma première phrase, prend une toute autre tournure lorsqu’arrive le travail. Le vrai. Oubliées les séances calmes et quelques fois étonnamment sensuelles du début, où l’on tournoyait sur nous-même et où nous récitions des vers de Hamlet couchés sur les doigts ramollis d’un gant en plastique bleu. Non, le vrai travail arrivait à pas de géant, celui du texte, de la mise en scène, de la distribution, de la chorégraphie, de la mémoire, de la mise en espace, du choix des accessoires, de la libération physique et de la maitrise du sang froid. Enfin bref, de la création quoi.
Notre groupe, composé de l’italienne Raf, la taiwanaise Cycy, la plus-ou-moins marocaine Rachid et de la bien trop française moi-même, avait eu la vaste et vénérable idée de choisir comme support textuel une saynète de Carole Fréchette, un doux nom résonnant le caribou et le sirop d’érable, (vous l’aurez deviné, Carole Fréchette est en effet québécoise et je m’excuse solennellement auprès de tous les québécois pour ces clichés idiots), scène nommée simplement La Pose. On assiste aux déboires de la famille [insérer le nom de votre choix] qui se dispute à propos d’une photo à prendre, d’un fauteuil à occuper, d’une pose de groupe à organiser, d’une plante à tenir, d’un appareil à faire marcher, d’un sac à trouver, d’une histoire à raconter. Mais ce que la scène présente vraiment est une famille dans laquelle se cache un problème plus profond, une cicatrice qui n’a pas vraiment été refermée : une fille toujours absente (Marie-Luce/Cycy), un fils dépressif (Jérôme/Raf), un père coureur de jupons (Gilbert/Rachid) et une mère ayant quitté la famille pour un amant italien (Monique/Erys).
Cette scène avait été associée à la très gaie Chaise Electrique d’Andy Warhol (1967-68), puisque chaque scène arborait son jumeau plastique dans le Centre Pompidou. La chaise électrique, le fauteuil… Un lien évident s’était créé assez rapidement : la mort. L’une d’entre nous devrait donc être morte. Très vite, mon absence le jour de la présentation de la performance s’imposa. En effet, à vouloir jouer le couteau-suisse avec mon double-cursus, je me retrouvais à passer le concours des Beaux-Arts de Rennes le même jour que la performance finale. J’ai toujours bien choisi mes emplois du temps. Mon absence inévitable se reporta alors assurément sur Monique, la mère, le rôle que j’interprétais. Monique ne serait pas seulement partie avec son amant italien puis revenue, elle serait partie tout court, et jamais revenue. Monique serait donc morte et enterrée.
Ce fut donc notre première difficulté. Puisque je serai absente le Jour-J, mais présente les autres jours, il fallut alors créer deux versions de la même saynète. Mais puisqu’une difficulté n’arrive jamais seule, il fallait aussi trouver un moyen de représenter la mort de Monique sans non plus l’éjecter de la scène. Sa présence devait alors être symbolique. Fantomatique. Monique devrait être présente sans l’être vraiment.
La première version, celle où je n’étais pas perdue dans le froid Rennais, mettais en scène une Monique-Spectre vêtue en tenue de deuil, lunettes noires, voilette, fleur blanche dans les mains, au milieu du public, faisant face à sa famille qui lui parlait mais ne la voyait pas. La deuxième version, bien plus compliquée à mettre en œuvre, mais encore plus symbolique, ne faisait plus du tout apparaître Monique. Seule sa voix retentissait depuis le public. Moi, de mon côté, j’étais à Rennes, sous la pluie, en train de hurler dans le combiné du téléphone pour qu’on m’entende bien, alors que je n’entendais pas un seul mot prononcé par mes camarades sur le lieu de la performance, tellement la ligne coupait. J’ai essayé tant bien que mal de me boucher une oreille et de courir à la recherche du réseau, j’ai été incapable d’entendre quoique ce soit et j’ai donc dû valser entre les interférences en plus d’entre les gouttes, pour pouvoir greffer mes quelques répliques. Il paraît que je me suis bien débrouillée et que l’illusion était parfaite. Je n’aurais pas souffert pour rien.
Puisque deux de mes coéquipières étaient étrangères, imposant malheureusement une certaine barrière linguistique pour certains termes, et la troisième étant co-présidente de beaucoup trop d’associations, j’ai dû endosser un rôle de metteur en scène assez important pour cette performance. Cela s’est aussi ajouté au fait que je n’étais même pas capable d’être présente le jour J. Il fallait bien que je serve à quelque chose, non mais sans blague. Je me suis alors pour la première fois de ma vie, vraiment proposée en tant que metteur en scène, avec l’aide de Rachid. C’était un nouveau défi. C’était aussi un rêve caché tout au fond de mon petit cerveau, mais c’était surtout un défi. Il a fallu trouver des idées, les modérer, laisser les autres proposer leurs propres idées, ne surtout pas être trop autoritaire et savoir organiser tout ça. Il a fallu prendre patience, et je me suis rendue compte que savoir faire comprendre une intention à quelqu’un n’est pas toujours évident, et encore plus lorsque cette personne ne maîtrise pas très bien votre langue (mais je ne les blâme pas, je suis incapable de dire un seul mot des leurs.) Un grand travail de mouvement et de chorégraphie a aussi été mis en place. Les performeuses seraient trois, nombre un peu mesquin, il fallait trouver un bon équilibre scénique pour que ces trois-là se marchent sur les pieds sans se faire mal, et surtout sans détruire les œuvres de la salle de Pompidou.
Il a fallu se dépasser pour proposer une création à mi-chemin entre naturalisme et symbolisme, en créant une atmosphère double, aussi drôle que pesante. Ce travail en équipe fut aussi compliqué par le peu de séances que nous avions malgré tout pour proposer un travail efficace rapidement. J’ai découvert de ce fait le formidablement intéressant mais compliqué monde de l’adaptation. La scène étant plutôt longue, et ayant sous la main des comédiennes avec une légère difficulté à apprendre un texte en français, ce qui est tout à faire légitime d’ailleurs, nous avons dû en couper une grande partie, et adapter les répliques pour que le sens premier du texte soit néanmoins conservé et que Carole Fréchette ne se sente pas contrariée à force de nous voir trifouiller son œuvre. Le travail en groupe, même si plutôt difficile, a malgré tout été très intéressant et m’a personnellement permis de me dépasser dans mes capacités théâtrales. Je quittais doucement le jeu pour effleurer la mise en scène, ainsi que le théâtre performatique.
D’ailleurs, si la performance artistique est un moyen pour l’artiste de se dépasser, de franchir ses limites corporelles, intellectuelles et sociales, c’est, à mon avis, surtout un moyen pour l’artiste de mélanger les arts et de briser sa routine, tout en brisant celle du regardeur. Si je n’ai malheureusement pas eu la possibilité d’être présente le jour de la performance, j’ai malgré tout senti le rapport particulier qu’on a avec le public lors d’une performance artistique. Il ne vient pas nous regarder agir délibérément comme au théâtre, c’est nous qui venons agir à son insu, sans qu’il s’y attende, et parfois sans qu’il n’aie initialement vraiment envie. Et même si je n’étais pas à Pompidou le jour J, j’ai en quelque sorte proposé ma propre « performance », celle de crier dans un téléphone, en t-shirt sous la pluie, sur le parvis de la Place des Lices de Rennes. Un vrai bonheur. Mais, plus sérieusement, pour moi, la performance c’est essentiellement un moyen pour les artistes de défendre leurs opinions en faisant tout et surtout n’importe quoi dans un musée. Et ça, c’est formidable. Quand je serai grande, je veux être performeuse.
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